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Chose promise, chose due.
Figurons-nous un instant fictif au jugement du tribunal des machos : « accusé JV, levez-vous ! Parlez-nous de votre goût pour la presse de bonne femme… »
Voici ma plaidoirie :
« Alors d’abord, je dois vous dire que je travaille et vis entouré de beaucoup plus de femmes que d’hommes.
Après une quinzaine d’années dans l’automobile et chez les mecs-mecs, me voilà depuis cinq ans dans un laboratoire pharmaceutique et en plus, maintenant dans un service où, de facto, je suis de par mon appartenance au sexe dit « fort », le seul qui pourrait être un taliban, fussions-nous en Afghanistan.
Ce serait peut être rigolo, d’ailleurs, mais comment ferais-je pour reconnaître mes collègues toutes voilées en réunion ? Euh, Agnès Fatima, c’est toi à ma gauche là ou bien c’est Aïcha Catherine, non ? Ah oui, Véronique Leila, ta burqa est bleu ciel, suis-je bête ! En attendant, les filles, qui va me chercher un café dans les plus brefs délais, ou je sors le fouet ?
Mais non, ceci est vile fiction et dieu merci (zut, cette expression n’est pas forcément la meilleure dans ce cas précis, puisque ce serait ce gars là, lui-même barbu, qui aurait décrété qu’il faut planquer les poulettes sous du tissu, se foutre de leur tronche et les traiter comme des êtres inférieurs ?)
Autre point : comme hobby, je participe à des ateliers d’écriture et là, pareil, un homme pour douze femmes en moyenne. Curieux et prouvé.
Enfin, à la maison : j’ai la même épouse depuis plus de vingt ans, et tout va bien, merci. Peace, fun and love chez nous et ce n’est pas mal du tout. Chanceux, je suis.
En résumé, je ne suis guère misogyne, ça c’est clair !
Voilà… et ma douce moitié lit justement ces fameux magazines légendaires de la presse féminine dont je vais très brièvement parler maintenant.
Elle et Marie-Claire dominent la mêlée. Marie- France c’est moins glamour. Biba et Cosmo sont plus paillettes et jeunettes.
Déjà, attention les amis, dans ces magazines, la publicité constitue une part énorme du volume papier. Pages impeccables, glacées et d’une magnificence sans concession. On ne sait pas s’il faut acheter ou se prosterner, et quoi et où, mais : respect pour le choc esthétique. Dans un « spécial Beauté » (jamais de « spécial Mocheté », vous noterez), environ vingt double pages lourdes et denses, avant même le sommaire ou l’édito. Dans ces publicités, je lis avec intérêt des pages fascinantes vantant des produits anti rides, anti vieillissement issus de la technologie du futur et de laboratoires secrets, à base de molécules de métaux précieux et de kréatinol bio dermatoïde, plus du raisin ou du pamplemousse pressé, et qui ont satisfait 90% des utilisatrices ! (avec astérisque renvoyant à une petite note, police six, évoquant une vaste étude sur 37 personnes, échantillon hautement représentatif).
Je lis toujours les chroniques films et livres, bien faites, je passe vite sur le concours de photos du plus beau porté de sac Chermès dans un festival de cinéma et le buzz du mois qui indique que la tendance des bottes à fourrure ou la saharienne orange, revient en courant, que c’est le « must have » du mois en cours ou de la semaine prochaine. On soupirera sur les reportages réguliers et humanistes, pour se donner bonne conscience, sur les femmes héroïques du Bas Congo, le mariage forcé mais plein de couleurs des Moltchènes et les petites amputées courageuses qui ont marché sur des vilaines mines et lisent maintenant du Kant pour se consoler. C’est triste, mais à la page d’après (on est déjà à la 245) apparaît en toute beauté la promotion -qui coupe le souffle du lecteur masculin…- d’un décolleté pigeonnant de la marque Dérobade Bra Queen et qui vous fait oublier les malheurs du monde tiers.
Ensuite, je regarde vite fait les interviews des stars qui sont toutes formidables, droites, modestes, généreuses, gentilles et en plus … fort bien habillées (sinon on les interviewerait pas, hé !). Parfois, « l’avis du psy » vient un peu leur casser la baraque, mais bon, juste un peu…
Passons sur les remarquables compte-rendus de défilés de mode, où je vois des régiments de mannequins crispées qui doivent avoir quatorze ans et peser trente kilos et qui font une tronche de mort vivant soulignée par un maquillage genre « la guerre du Feu ». Elles semblent soumises à un destin d’abattoir prochain, avançant d’un pas swinguant devant un public d’élite et dégoûté, et pensent à leur parents qui sont à Minsk habitant à douze dans un deux pièces sans chauffage, leur demi coca light de quatre heures et pourquoi donc Mémé Ivanovna leur a écrit que leurs cuisses sont plus fines que leurs mollets ?
Ce qui est aussi très intéressant, ce sont les articles dits « coquins », du genre « ce qui rend les hommes fous de désir » ou « mettez du piment dans votre couple », mais, bon au final, ce n’est jamais très loin du bon sens et des conseils pratiques du style « ne mettez pas un survêtement en pilou avant d’aller au lit, si vous souhaitez réveiller le mâle qui habite sous votre toit ». Dont acte, et voir la ligne « Câlins mutins » de chez Dérobade en 95 C.
Que dire encore ? Ah, oui, les photos des pages Mode sont très très souvent magnifiques, dans des paysages grandioses d’îles inconnues ou des ambiances noir et blanc d’un esthétisme parfait dans des hangars design quoiqu’un peu abandonnés .On ne voit même plus très bien les vêtements, noyés dans le flou artistique ou le mouvement subtilement capté d’une taupe model jamais nommée, par ailleurs ; juste une petite légende du style « petit pull en cachemire de chez Rafik et Rousseau », 1567 euros et « ballerines Stoulitto, 259 euros », sans oublier « montre Pior et Radin » (mais là le prix, c’est 4 smic alors, il n’est pas écrit »)
Et pour finir, les inévitables fiches cuisine, où là aussi la mise en images est formidable ; les poissons et les viandes explosent de couleurs chatoyantes et tout semble si évident à faire cuire en quelques minutes, comme nous le susurrent ces grands chefs souriants qui prodiguent de judicieux conseils pour créer le même repas qu’au Crillon un soir de visite du président des USA avec juste ce qu’il y a au fond de vos armoires de cuisine, là tout de suite !
Bref, il faut lire ces magazines pour se cultiver, tout simplement et savoir ce qui fait tourner cette planète, à défaut d’être une personne meilleure ou tout simplement sans découvert bancaire à la fin de chaque mois.
Je vais m’arrêter là, mais, Monsieur le Procureur, cher Maître, et à vous jury, condamnez-moi si vous voulez à une lourde peine, mais je veux bien un abonnement aux Inrockuptibles, au Monde ET lire le « Elle » de la femme du directeur de La Santé, si c’est possible et quand elle l’aura fini, bien sûr.