mercredi 7 avril 2010

Rendez-vous chez les frères inconnus



Petit, écoute-moi. La nuit est belle et le feu crépite. Ce ragoût de caïman rouge était bon. Je vais te conter mon aventure à Paris. Oui, Paris. Des français blancs et un noir de là-bas sont venus chez nous. Me parler, parlementer. Après un si long voyage, c’était une preuve de grande motivation. Ils avaient l’air un peu tristes, alors, j’ai cédé à leur requête.
Ils voulaient m’inviter pour fabriquer une cérémonie rituelle de la tribu Télévision, tu sais la boîte qui bouge à l’intérieur, que l’on voit partout quand on va à Saint-Georges de l’Oyapock, faire nos papiers et acheter du tabac.
Je connais bien les blancs, tu sais, j’ai vécu parmi eux pendant un mois. En plus, on est un peu catholiques pour faire plaisir aux bonnes sœurs du village voisin. Je sais lire, j’ai aussi des livres sans images.
Alors, pour faire comme j’ai promis, je me suis mis en route avec l’un d’entre eux, chargé de m’aider à traverser la mer. On a pris la pirogue, le camion et après deux jours, on s’est approché du dernier sentier pour le départ vers Paris. J’ai vu Cayenne, c’était grand et cela m’intéressait, j’ai ri en voyant les voitures, elles sont comme des lézards qui bougent très vite… mais nous sommes restés très peu de temps.
Mon nouvel ami de la tribu des Télévisions m’a amené prendre la grande machine à voler, et j’étais furieux, car je pensais que l’on allait prendre un grand navire, beau comme dans le livre de Mobidikke, celui qu’on regarde tous les deux, le soir. J’ai vu le terrain de cérémonies qu’ils utilisent pour le grand envol, et je ne l’ai pas aimé du tout. Le sol est tué, recouvert d’une longue coulée de pierre grise, avec des traits jaunes dessus. Le bruit est si fort que tu crois que des esprits mauvais t’arrachent le cœur, mais en fait personne ne s’en formalise, alors j’ai fait semblant, moi aussi.
Tu sais, je connais un peu les Blancs, alors j’ai dit à mon ami de me donner un mélange qui fatigue beaucoup. Ils ont de grands remèdes qui frappent le corps. J’ai croqué la poudre d’os pilés qu’il m’a passé, c’était amer. Je n’ai pas vu le trajet. Arrivé à Paris, j’ai eu peur, la pierre grise est partout sur le sol, les voitures sont comme des fourmis qui sortent de chaque point de l’horizon, le bruit est strident.
Une odeur d’œufs de grenouille jaune pourris règne.
J’ai fait bonne figure et serré mon talisman chaque heure en récitant une prière. Après, j’ai fait comme ils ont dit, j’ai revêtu leurs ornements, j’ai fait mine d’apprécier leurs rites, j’ai beaucoup ri dans leurs voitures, nous avons vu des maisons immenses, les grands palais de la tribu des Télévisions, qui a le pouvoir là-bas, qui est comme la prière pour les bonnes sœurs d’ici. A la fin, ils m’aimaient bien, ils pleuraient et voulaient tous m’envoyer de l’émail. Pourquoi ? Je ne sais pas. J’ai dit « oui-oui ».
Je suis rentré. Ouf. Les sauvages, tu sais il ne faut pas les contredire. Me voilà de retour, petit. Et tu sais quoi, pendant que nous parlons, ils vivent toujours de la même façon. Drôle, non

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