lundi 20 décembre 2010

Hiver solitaire



Un soir absolument glacial, en revenant des courses, il se hâtait le long des quais pour rentrer chez lui. 
Le fleuve était complètement gelé, solide, depuis de nombreux jours déjà. Le temps était cotonneux, un vent souple et vif soulevait de petits tourbillons glacés sur le sol. La luminosité était faible, il y avait très peu de passage de véhicules des deux côtés et presque personne en vue. Il avançait, un peu courbé, le visage dissimulé sous une cagoule de laine, emmailloté dans une grosse écharpe et le corps engoncé dans un épais manteau gris. Il portait des gants en peau de phoque et de solides bottes fourrées qui accrochaient sur les sols glissants. Bottes usées et décolorées, mais encore chaudes, portées sur deux paires de chaussettes achetées aux surplus militaires. 
Il marqua une pause et regarda de l’autre côté du fleuve. Sa vue baissait, mais il vit une forme humaine qui lui faisait signe. Il regarda à droite, puis à gauche. Il était bien seul sur sa berge. La silhouette lui faisait maintenant des signes plus amples, avec les deux mains. Il se retourna encore, ne vit toujours personne et lança un regard à nouveau vers celui qui le hélait ainsi avec force. « Moi ? » cria-t-il de toutes ses forces, se désignant d’une main gantée (sa voix lui sembla être étouffée par le vent car les flocons recommençaient à tomber de plus en plus fort). Tendant l’oreille, il crut distinguer une réponse telle que « Oui, oui, vous, là-bas,  Mmmh, Vvvtvv,mmm ? «  Ou quelque chose s’en approchant… et les gestes reprirent de plus belle. 
Après quelques secondes d’hésitation, il décida d’en avoir le cœur net, descendit l’escalier, franchit le quai et s’avança en direction de l’autre berge. Au début doucement, écartant les bras pour obtenir un meilleur équilibre. « J’arrive » hurla-t-il en direction de l’autre « Bougez pas ! » et il continua sa progression, alors que le vent se mettait à souffler en rafales, balayant la surface dure, soulevant encore plus de nuées immaculées et poudreuses. Il toussa un peu mais continua son avancée prudente. 
A mi-parcours, il accéléra le pas, mais mal lui en prit, il sentit la glace bien plus fine à cet endroit et un craquement sinistre se fit entendre. Tétanisé, il se mit à faire des tout petits pas, espérant ne pas tomber dans cette eau mortelle. Heureusement, après quelques mètres, il put marcher sans risque. 
Le vent avait redoublé, et l’obscurité était presque totale, seul un petit réverbère éclairait celui qui l’appelait, dont la forme apparaissait en contre jour, dans les volutes de la neige qui tombait de plus en plus drue. Essoufflé, il cria encore « Je suis là ! » et se mit à monter avec précaution l’escalier raide et glissant qui menait sur le quai. 
Enfin, en sueur, rouge, il s’approcha de l’homme qui le hélait depuis tout à l’heure. Un parfait inconnu, avec un nez pointu et un chapeau noir, qui lui dit tout à trac : « Dites, vous savez à quelle heure passe le bus 17 ?»   

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