lundi 25 mai 2009

Le cocher, le financier et l’écran plat





Un cocher dispendieux n’avait plus qu’hypothèques pour seul bien à la ronde.
Il s’en fut au marché, fut conquis et acquit, ô merveille,
Un de ces écrans plats, largeur de mappemonde,
Éclairant son foyer, même en étant sur « veille ».

Survint un financier, empruntant le carrosse (pour une course en ville).
Le cocher larmoyait, il ne fouettait plus guère…
Et ses chevaux traînaient, changeaient sans cesse de file
Notre bonhomme était dur, mais voyait l’autre amer.

-« Holà, mon bon cocher, que sont là ces sanglots ?
Votre épouse est-elle morte, ou votre fils au bagne ? »
-« Nenni, s’écrie le bougre, Credipar-Sofinco :
Ils me boivent le sang, beaucoup plus que ne gagne ! »

« J’ai reçu un mandat, une lettre des huissiers,
Les traites me sont fort dures, leurs intérêts gloutons,
Et j’ai vu un I-Phone qu’il me plairait d’aimer,
Autant qu’un carrosse neuf, avec jantes platinées ! »

« Quoi donc, rugit le financier, vous êtes donc bien niais,
D'acheter à crédit, à taux qui fleure l’usure,
Payer sur tente-six mois ou bien se faire fouetter ?
Vous aurez les deux maux, perdrez votre masure !

Cessez de maugréer, brûlez ces crédits permanents,
Rendez ce triste écran, évitez vains spectacles,
Qui le soir vous endorment, vous charment tels serpents,
Sifflant sur votre épargne, allumant la débâcle ! »

Le cocher ébranlé termina son ouvrage,
Conduisit tout le jour, pensa toute une nuit
Mais oui, dit-il enfin au matin, plein de rage
La banque du vieux grigou, pillerai cette nuit !

Caché par une cagoule, il prit deux grands mousquets,
Cassa l’huis et les gonds, entra dans le comptoir.
Le financier d’hier ne le reconnut point,
Ne fit point le malin, tendit ors et paquets.

Moralité
L’écran plat est aussi fin que la conscience des hommes
Pour l’avoir, le chérir, le manant, le seigneur
Sont prêts à transiger ou même à trahir Rome,
Mais pour regarder quoi ? Amnésie du zappeur….


A vous la source, à vous la fontaine
Fable 29 ème, Livre 1

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