mardi 23 février 2010

Les couleurs de la guerre


Une technologie qui avance vite et fort : la progression de la résolution des images à notre disposition de spectateurs en 2010. La moindre photo numérique fait une poignée de méga-octets au minimum.
On peut agrandir un film jusqu’à voir des graines de pollen comme des ballons de rugby, et la palette des couleurs à notre disposition est de plusieurs millions. Au passage rappelez-vous de la phrase de Jacques Tati : « trop de couleurs distrait le spectateur ». Pertinent, mais nos amis des services communication des armées du monde entier ont peut être des intentions moins louables. Quand mon oncle prend son fusil d’assaut et monte dans son char, on casse la pipe des ennemis, mais ce n’est pas « playtime » pour les civils, qui doivent à peine deviner ce qui se passe réellement sur le champ de bataille. Non, mais, des fois qu’ils nous feraient suer en commentant des images trop claires et nettes !
La guerre et le cortège des images sinistres qui en filtrent sont donc toujours plus pauvres. En résolution, en clarté, en signification.
En Irak, ce furent des bombardements verts pixelisés sur fond de nuit floue et d’explosions troublées. Presque de l’art abstrait.
Tous les bombardements à coups de missiles nous furent montrés avec un ép ais nappage de flou, des tremblements incessants et un sous-titrage illisible. En 3 ou 4 couleurs, grand maximum.
Les manifestations de la guerre civile iranienne produisirent seulement quelques pâles films exportés sur You tube, avec du sang à peine rouge.
Pour l’Afghanistan, nous avons le droit à de soldats en camaïeu de camouflage marron clair sur un fond de paysage de caillasses grises et poussiéreuses, qui croisent des habitants monochromes, drapés dans des nippes noires ou des burqas bleu foncé. Tout le monde fait la tronche, par ailleurs. Le paradoxe, c’est que sur ordinateur ou console de jeu, les wargames sont d’un réalisme surpuissant. Ici, le potentiel chromatique est exploité au maximum. Les têtes éclatent, des gerbes de sang et de tripes sont en quasi 3D, le tout dans un décor somptueux. Avatar-tines de forêts luxuriantes, festival de jungles et de sous-bois, surgissement de féroces et bigarrés adversaires.
Sans compter le son, riche et stéréo, avec une bonne perception des aigus et des basses. En résumé le résultat de ce grand écart en matière de technologie mise à note disposition quotidienne c’est bien que la vraie guerre, sur théâtre d’opérations « extérieur », avec des soldats qui plombent, nous est chaque jour plus étrangère, irréelle, dématérialisée.
Peu d’images, donc peu d’affect et… peu de réactions.
Mais sur place, les couleurs et les sons sont sûrement toujours plus vifs et plus durs. Et encore, nous n’avons pas évoqué les odeurs. Jour de Fête ?

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