mercredi 24 juin 2009

Un texte ressorti du disque dur (2007)


Décibels, italiques et viennoiserie jaune.

Que ce soit à Vienne, tout près du Danube ou à Saint-Malo tout près du mal de mer, j’avais remarqué que le moment précis dans une soirée agitée où l’on se sait emporté dans la spirale verticale ascendante de l’alcool, c’est pile quand on va évacuer le trop-plein pour la deuxième fois, que l’on on tape du pied sur la poubelle sous le lavabo des toilettes pour l’ouvrir sans raison et qu’on la rate de peu. Blink !

Après, on se regarde dans la glace blême tout en se lavant les mains et on ne pense à rien, en fait, car la porte s’ouvre, un autre pisseur rentre dans les WC en impulsant avec son arrivée un appel d’air comprimé et sonore, plein aux as de la musique boum boum, mêlée à la fumée des trois cent quarante deux cigarettes en train de se consumer ; la porte se ferme, elle s’ouvre encore, re musique boum boum et toujours la pâleur de la lumière aux néons dans ces toilettes, avec le papier toujours en fin de rouleau quelle que soit l’heure ;
Ce soir là, une marque de vodka même pas russe sponsorisait une soirée un peu à la mode et beaucoup promotionnelle dans ce grand hôtel quatre étoiles où nous logions tous- mais pas un cinq étoiles, les gars - parce que, you know, il faut faire des économies comme nous l’avait écrit le chief financial officer, depuis son bureau au sommet de la tour du QG où sont les chefs.
Je me glissai dans donc dans ce brouhaha relationnel-impersonnel avec autorité et une facilité cravatée, à la faveur d’un retour tardif de dîner final et séminal de séminaire de ma company-boîte qui nous réunissait encore une fois à coups de présentations sur grand écran plat orné de maints discours, ceux qui piquent les yeux après le déjeuner, vous voyez , au centre ville et loin de l’aéroport dans cette vieille ville bien européenne .
Je n’aime pas Mozart, oui, même quand il était petit, l’opéra m’ennuie mais je me souviens en un flash que le groupe Ultravox avait eu du succès avec une jolie chanson assez grandiloquente qui s’appelait « Vienna ». Bref, c’est tout, à part citer le nom du groupe Franz Ferdinand, ce que je peux dire pour ma défense musicale option rock and roll, monsieur le Procureur autrichien ;

Vision soudaine en entrant dans la salle de bal de l’hôtel : ce décor plein de néons, rouges, martelé par une musique numérique vomie par les mauvais soins d’un aigre DJ qui lui n’avait cure du taux de danseurs sur la piste (ces derniers dodelinant du chef et le regard à l’écoute en razzia 360 degrés, car les oreilles saturaient, je répète).
Pour ce type de DJ en polo noir, pas du tout vieux mais déjà plus jamais jeune, peu rasé et un piercing pointu-métal fiché dans l’arcade sourcilière juste sous la visière de sa casquette urbaine ornée avec un logo inconnu, pas le moindre souci du ressenti musical ou sautillatoire de ses ouailles. Il envoyait valser dans l’atmosphère des morceaux bien trop longs à la signature ignorée de tous et peut être même de lui ;
Toute cette électricité sèche nous tombait dessus par vagues pleines de beeps beeps et nous obligeait très sérieusement à crier trop fort pour dire et redire des banalités franco-américaines. La salle irradiait du sol au plafond, très vaste mais bondée, car pour faire les quinze pas allant du bar aux portes des toilettes il fallait bousculer cent éphèbes et frôler 101 bombes de l’espace aux yeux rimmelés de mépris excessif et de beauté forcément éphémère ;
Les videurs avec leurs cous de taureaux et ce blazer bleu toujours trop étroit surveillaient l’entrée d’un air dégoûté ; Je m’allumais en deux ou trois fois, une cigarette mal barrée mais medium -sauf pour le prix qui reste idem- avec une pochette d’allumettes jaune et souple, prise à la volée un mois avant dans l’un des restaurants dégoulinant de tapas grasses et banales, fourrées au jambon cru de mon dernier congrès à Madrid , dont j’ai oublié le thème, d’ailleurs.
« Pffft ! » dis–je alors sans logique, après avoir cité un couplet de Midnight Oil à mon collègue d’Australie, assez sympa et très souriant (peut être à cause de mon accent, le sourire ?) Les Australiens m’apparaissent toujours bien gentils et dotés d’une ahurissante capacité à descendre leurs verres de bière dans toutes ces réunions made in Europe mais avec le Rest of the world aussi (je l’ai noté, car avec les British, ils restent tout tout tout près du bar jusqu’à la fin, avec moi, le Français agrippé dont l’accent s’améliore nettement passé les minuit trente deux et les deux grammes six.
“You have to say fair’s fair, let’s give it back”, oui ?, donc, et il avait compris, c’est bien, c’est dans le disque.
Des autrichiennes – il y a bien chienne dans autrichienne- arrivaient, se voulant bien habillées façon glamour magazine, mais un peu ratées car à la main un sac plus à la mode du tout ni rue de Rivoli, ni dans le Marais ni même à Berlin et 100% accompagnées par des sbires à carte de crédit, des prétendants sourcilleux, ou des conducteurs arrogants à limousines grises perlées de pluie, bref des mecs plus âgés. Elles surplombaient un instant le tintamarre ambiant d’un postérieur bien ferme ; mince me dis –je elles ont l’air si sûres d’elles , mais quelle tronche elles vont faire au moment de l’accouchement (ha ha ha, en fait, c’est le genre de pensées qu’on a un peu après avoir déjà fait l’aller retour trois fois aux toilettes) ; tout comme ces mecs qui se pavanent, prennent des poses et reprennent des verres, avec un costume clair, une montre en acier, un regard dur et la « clope au bec »… ils font bien caca comme les autres, non ?
Comme le chef de produit italien avait déjà remonté les manches de sa belle chemise à larges rayures et payé sa deuxième tournée, je bus ma vodka citron à la paille en finissant violemment par des frrrt frrrt frrrt de fond de verre bien typiques de quand on boit à la paille et de facto le niveau d’alcool monta d’un cran dans mon crâne chauve ; Heureusement, j’ai piqué une facture froissée et humide qui traînait sur le bar et on pourra passer le tout dans la note de frais, comme le prix du taxi dans lequel je pourrais m’engouffrer dans un quart d’heure si je voulais. Je le devais, d’ailleurs.
La musique kilométrique demeurait donc fondamentalement médiocre, entretenue dans sa recherche de bonheur artificiel seulement par des basses répétitives et des roulements de toms, alors sans surprise, nous nous contentions d’articuler très très distinctement pour faire sembler d’être ensemble.
Demain en réunion, ça va être paupières lourdes et renvois de gasoil, me suis-je dit bêtement, car c’est le genre de jeux de mots qu’on regrette aussitôt, heureusement personne pour me voir à ce moment précis et lui dire une platitude pareille.
Dodo vers trois heures quarante.
Vous auriez vu nos têtes en lisant le journal au petit déjeuner, c’était pas mal…
La réunion recommençait à huit heures trente. Pas de bol, c'est une prez' du Légal ...
J’étais encore un peu gazeux, mais au moins, j’avais pris par réflexe l’aspirine avant de me coucher, comme me l’avait appris il y a plusieurs années-lumière un ami étudiant en médecine qui avait fait son service national et alcoolisé avec moi dans la Marine, nationale et alcoolisée.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire