samedi 22 janvier 2011

Des trains qui passent, dépassent et trépassent



L’autre soir, en allant de A à B, je suis arrêté par la barrière du passage à niveau et je regarde le panneau qui jouxte l’endroit. Placide, je lis ce classique d’entre les classiques : « un train peut en cacher un autre ». Là (et un peu las) je m’interroge soudain avec vivacité et profondeur de champ 3D.
Comment un train peut-il se cacher derrière un autre train ? Ah ! Mine de rien, ce petit texte mystérieux semblerait anodin, mais dissimule des montagnes de questions non résolues. Réfléchissons un peu.
Hypothèse première : le premier train (X) est juste derrière un autre (Y), là, sur la voie d’en face, circulant de façon strictement parallèle, dans la même direction, à une vitesse identique. Il est donc « caché » par son congénère et le panneau est exact. Ceci dit, pourquoi s’inquiéter et nous avertir ? Exemple pratique : on peut vouloir se jeter sous le train (X), éviter une mort atroce par chance, remords soudain ou adresse hors du commun… et paf, être broyé juste après par le second train (Y) que l’on ne voyait pas ? Le panneau vous donne une chance de songer qu’il peut y avoir une double épaisseur de l’objet « train », que vous ne perceviez pas a priori.
Autre possibilité, imaginons maintenant que le train (Y) arrive dans l’autre sens, et pile au moment du croisement homothétique des deux convois, vous êtes justement arrêté au passage à niveau. (Y) croise le train (X). Vous, naïf, croyez n’avoir vu qu’un seul train, malgré le bruit un poil plus fort qu’à l’accoutumée. La SNCF vous aide donc à conceptualiser qu’un trafic ferroviaire puisse être plus chargé que ce qu’il n’y paraît et, de facto, apaiser les doutes d’un usager blasé qui se dirait : « tiens, finalement, il n’y a pas tant de trains que ça qui passent ici, en fait ! »
Ou alors, le train (X) est suivi par le train (Y), qu’on nommera ici l’arrière-train par commodité, mais de près, en tout cas suffisamment pour que l’automobiliste ou le piéton stoppé pense naïvement que (X) et (Y) ne font qu’un. Alors, oui, au-delà d’une vitesse de 57 km/h, notre vision des deux objets « train » est brouillée, on arrive à un point de fusion ferroviaire qui nous trompe sur la nature du convoi. Train et arrière-train sont fusionnels. L’usager potentiel appelé désormais « client » par le service Réclamations n’y voit que du feu. (X) cache (Y), CQFD.
Les partisans fougueux d’hypothèses fantaisistes, de théories à l’emporte pièce et de suggestions fictionnelles s’emporteront à la simple vue de notre bon vieux panneau. Certains diront qu’il est absurde, un peu « neu-neu », d’autres qu’il est obsolète, des aigris avanceront qu’il devrait âtre supprimé purement et simplement à l’ère du TGV et des wagons spacieux, certains illustrés de pictogrammes représentant un téléphone portable barré pour dissuader les ânes de braire leur morne vie à fort niveau sonore, dans un espace surpeuplé de "clients silencieux" qui se mettent à les détester avec rage.
Des humoristes se gausseront, arguant du fait que jamais la probabilité des hypothèses ci-dessus précitées n’est réalisée et se riront de l’avertissement pourtant clair, séculaire et fondamental que je vous rappelle une fois encore ici : « un train peut en cacher un autre ».
Je vous dis -pour conclure- que l’on n’est jamais assez prudent, malgré tout, car un homme averti en vaut deux.
Le premier (X’), ceci dit, cachant assez bien le second (Y’).

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