dimanche 5 septembre 2010

Le dernier RER (1/2)




Le dernier RER A de Saint-Germain en Laye vers Paris part à minuit quinze précises et je l’ai raté.
Mais, ce soir, coup de chance, il y en a apparemment un de plus, programmé à minuit trente, et je suis monté dedans.
Juste à temps.
Les portes claquent et je me jette sur un siège, un peu essoufflé. Il y a de la place, le RER est presque vide.
Je dois être dans le wagon au milieu de la rame. Pas grand monde, donc, ce soir. J’aperçois un couple de retraités, cheveux blancs, qui parlent trop fort, ils sont tout au bout du wagon.
Calé dans mon siège, je lance un regard circulaire et observe qui d’autre occupe cette voiture. Debout et tenant la barre métallique verticale, un rappeur urbain, casquette orange I love New York, pantalon mauve à rayures porté vraiment très bas, presque sur ses genoux maigres, écoute son lecteur mp3 avec concentration et j’entends un faible rythme tatapoum tchac tatapoum qui s’échappe via ses oreillettes blanches.
Deux rangées plus loin, assises, deux ados filles, short court et T-shirt à paillettes, bracelets qui tintent et dents baguées, avec chacune un sac à main qui doit coûter une petite fortune, porté bien en vue à la saignée du coude, manipulent avec bruit leur téléphone tactile et échangent des fous rires entendus. Pas méchant.
Tout au bout, mutique et sobre, de noir vêtu, un vigile de nuit qui rentre ou va prendre son service et qui tient en laisse, très court, son berger allemand en muselière. Discipliné, le dogue est calme.
Un black, quinquagénaire et bedonnant, lit le quotidien gratuit froissé qu’il a pris sur le siège devant lui.
Le Vésinet-Centre. Pas un chat.
Les stations défilent lentement. Personne ne monte, personne ne descend, c’est un jeu à somme nulle.
Une des ados semble maintenant sommeiller. L’autre doit jouer à un jeu électronique avec un petit bonhomme coloré qui court et qui tombe. Le chien du vigile est couché sur le sol râpeux et me lance un regard triste.
Rueil-Malmaison. Désert.
Les retraités sont immobiles, le regard dans le vague. Le rappeur écoute un autre morceau, le rythme semble être le même depuis un quart d’heure.
Nanterre Université. Pas une porte ne s’ouvre. Nous repartons.
Le black lit toujours, il a l’air absorbé.
Nanterre Préfecture, pas un voyageur sur les quais.
Nous arrivons à la Défense, là aussi pas âme qui vive et personne ne monte. Le wagon reste clos, étanche dans son ambiance fatiguée, un peu engourdie.
Tiens, c’est drôle, ils mettent une lumière mauve dans les stations, la nuit ? C’est nouveau ?
Je trouve cet endroit sinistre.
Sonnerie, les portes du train sont fermées, redémarrage.
Ah, entre la Défense et Charles de Gaulle Etoile, je le sais, c’est le temps le plus long entre deux stations de la ligne A, quasiment une éternité…
Comme je n’ai rien d’autre à faire, je prends mon téléphone portable, et j’enclenche la fonction chronomètre. Un de mes fils m’a dit que cela durait trois minutes trente, je vais bien voir.
Le RER cogne, grince, fait un bruit d’enfer. Il accélère, et j’imagine que nous filons sous l’Avenue de la Grande Armée, plus vite que les derniers taxis qui y roulent encore à pareille heure. Trois minutes et deux secondes déjà que nous avons laissé la Défense derrière nous.
Trois minutes vingt-neuf, trois minutes tr…
L’écran de mon téléphone s’éteint brusquement.

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