vendredi 9 juillet 2010



Hier soir, j’ai été voir un géant noir, né en 1937, à qui il manque un petit doigt et qui joue assis sur une chaise et de la même façon ou presque depuis soixante ans.
Et il m’a soufflé, le géant.
Magic Slim mesure presque deux mètres, il tousse comme une forge et rugit comme un vieux tigre, il joue sans pédale d’effet et en plus, il rigole. Sa voix est burinée comme une locomotive à vapeur, ses doigts courent sur la guitare comme des chats qui se battent. Il porte un chapeau de paille qui lui donne une allure de gentleman du Mississipi, même si c’est bien un fidèle de Chicago, Illinois, la fabrique nucléaire du blues urbain, celui la justement qui vous prend aux tripes, dès le premier miaulement de la Gibson. Ce monsieur inspire le respect total, et d’ailleurs ses excellents musiciens lui en témoignent ainsi que son manager (ou assistant, je ne sais pas) qui vient lui porter sa guitare, qui l’aide à monter sur scène et reste dans l’ombre, tout près, pendant la durée du concert. Il doit faire les comptes aussi, parce que blues men ils ne rigolent pas avec le pognon.
Au Jazz club du Méridien, Porte Maillot, il y a des passionnés qui viennent écouter très tard dans la nuit les grands bonshommes de la musique noire américaine, comme Magic Slim.
Je vous le dis, c’est une bonne claque qu’on prend, assis tout devant, quand ils enchaînent les morceaux, en se disant juste un mot, échangeant à peine un signe et démarrant ensemble le suivant dans le centième de seconde synchronisé par leur ADN bleu royal des trois accords.
Ses Teardrops jouent parfaitement et nous montrent qu’ils savent aussi chanter, ayant le droit chacun à son petit moment solo. Ils rigolent, ils font des blagues, et puis avant, ils étaient à Vienne, là, ils sont quinze jours à Paris, demain ils partent en Espagne avant de retourner aux USA… mais pas de problème, ils assureront jusqu’à leur dernier souffle.
Hier soir, j’ai été voir un type qui chante des histoires de départs, de ruptures, d’amour, de bitures, d’absence cruelle de dollars dans la poche de son pantalon troué et de prison dure. Toujours les mêmes trucs en fait, et c’est ça que l’on veut entendre.
Le blues, c’est bien sûr toujours un peu la même recette, ce qui compte c’est la façon de la jouer. Avec du cœur, avec des tripes et en y croyant fort.
Et c’est pour ça qu’on va voir un géant noir, né en 1937, à qui il manque un petit doigt et qui joue assis sur une chaise et de la même façon ou presque depuis soixante ans.

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