mardi 1 juin 2010

15768000 minutes



Paris, premier juin 1980.

Sur le quai du métro, j’attends. Station Saint-Paul, direction Charles de Gaulle Etoile. Je suis fatigué, hier soir, on a bu quelques bières belges avec les copains, c’est Jean-Jacques qui nous a raccompagnés dans la 305 Break toute neuve de son père et nous étions tous un peu fracassés…on a écouté Police à fond.
C’est long, je fais les cent pas, il est trois heures de l’après-midi, heure creuse. Peu de monde sur les quais. Une gitane vient me demander une pièce, je refuse, elle me maudit à voix basse. Je me dis que le métro met toujours trente ans à venir.
Je sors de mon sac US vert kaki ma petite calculette Casio, avec des diodes bleues, et je calcule que trente ans, cela fait 15768000 minutes. Je m’assieds sur un siège, en dessous d’une publicité pour Benco, le chocolat en poudre que j’aime bien et je pense à l’album 33 tours d’AC-DC « Back in Black » qui m’attend à la maison pour écoute dès ce soir.
Je m’assoupis un peu. Réveil en sursaut, un peu endormi… le métro se pointe (enfin !), la porte s’ouvre et je saute dans la rame.
Tiens ! C’est drôle, il n’y a pas de séparation entre les wagons ? Ce métro est un long train et je me retrouve dans un long serpent qui file… et les sièges ? Marrant, ils font très « design », recouverts d’un tissu synthétique et coloré. C’est un prototype de nouveau métro ?
Ah, et la fille, assise à côté de moi, elle est habillée très sexy, dites-donc. On voit son ventre et son nombril. Elle a un look super disco. Elle écoute son walkman, qui est tout riquiqui : mais où met-elle la cassette ?
Et ce jeune garçon plus loin, que fait-il ? Il parle dans un talkie-walkie orange et tout fin.
Dans le métro ? Il fait semblant, il joue au mime Marceau ou il frime ? Et ce black, là, à deux rangs, il caresse une espèce de calculatrice assez large, qui a l’air d’être en verre pour moitié. Je me lève, l’air de rien et m’assieds derrière lui ; C’est étrange, il y a des images, des photos qui semblent glisser quand il les touche ! Mais que fait-il ? Il se met à jouer au talkie-walkie à son tour ; il dit « allô » et se met à parler. C’est quoi ce bin’s ? Une secte d’imitateurs des conversations téléphoniques ?
Station Hôtel de Ville. Des touristes entrent en parlant espagnol et très fort. Quel habillement ! Des sortes de K-Way trop fins, des sacs à dos fluos, des chaussures de sport biscornues et de plusieurs couleurs. Ils tiennent des caméras vraiment mini et ont des lunettes qui semblent dessinées par Yves Saint-Laurent !
Oh ! Et toutes ces publicités sur les murs de la station ! C’est quoi ces poulettes déshabillées ? Chaud ! Et cet appareil noir … une Télévision HD… mais de quoi « HD » ? c’est fait pour équiper des salles de cinéma, vu la taille ? En promotion ? Et pourquoi en monnaie étrangère ? Je ne reconnais pas le symbole, si c’est mille deux cents, c’est donné !
Le métro couine et repart.
Je remarque aussi la plupart des autres passagers en train de lire un journal avec peu de pages, mais où la couleur est partout. Ils ont tous le même, ceci dit, c’est surprenant ! J’ai raté une édition spéciale ou quoi ? Une vieille dame près de moi se lève et en abandonne une copie sur le joli siège, sur lequel un type un peu dingue a du mettre un coup de feutre et laissé une sorte de gros autographe.
Je regarde le journal. Elle l’a oublié ? Tant pis, elle perd 5 francs ! Je vais le piquer discrètement quand elle sera sortie.

Premier juin 2010.
Pardon ? L’effroi me saisit. Je feuillette le journal.
Je ne comprends rien. Je descends à la station Chatelet, comme frappé par un direct de Sugar Ray Leonard.
Je titube, regarde ces publicités qui ne me disent rien, ces gens habillés comme dans un défilé de mode américain ou tropical, tous ces talkies-walkies téléphoniques et cette station trop éclairée.
Je vacille et tombe.
Je me réveille.
Station Saint-Paul, sur un siège en bois, une publicité pour Dany sur l’autre quai. La gitane revient et elle me tend la main.
Je lui donne un billet de cinquante francs et je sors en courant dans la rue. Le soleil brille.
François Mitterrand, fort et tranquille, défie Giscard d’Estaing sur les murs de Paname pour les élections de l’an prochain …

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