vendredi 21 mai 2010

Siffler n'est pas jouer



Quand j’étais en troisième B, avec mon ami Jean-Yves, on était un peu amoureux de la prof de gym, Madame Lambertin. Son prénom ? Je ne sais plus, ce n’est pas important, en fait.
Elle était jeune et mince, un corps de sportive élancée, des cheveux blond vénitien très longs toujours tirés en arrière et retenus par un élastique de couleur vive. Elle portait, bien sûr what else ?, des survêtements, mais de belle facture, un peu moulants mais pas trop non plus.
Elle avait des chaussures Nike ou Adidas, mais des modèles un peu « mode », et des petites socquettes blanches, toujours. Un visage fin, quelques petites taches de rousseur et une bouche magnifiquement dessinée. Bref, une prof que l’on qualifiait de très très « bonne » (désolé, ce n’est pas très classe, mais, en troisième, et surtout entre garçons, on a un vocabulaire un peu brut de décoffrage) et regardée au laser dans ses moindres mouvements par l’ensemble des garçons de ses classes, pendant toute la durée des cours de gym.

Mais attention… Madame Lambertin, elle se faisait respecter : il ne fallait pas arriver en retard, avoir une tenue négligée ou tirer au flanc. On faisait sous sa houlette des courses « fractionnées », du hand-ball, du lancer de javelot comme les grecs d’il y a deux mille ans et des roulades sur les tapis bleus très élimés du gymnase Pierre de Coubertin. Pas question de faire le zouave ou de parler trop fort. En gym, on était concentré, c’est moi qui vous le dis.
Son instrument de commandement était un sifflet. Et on lui obéissait, à elle et son sifflet.
Vous savez, le modèle « police nationale », le tout simple, couleur métal, qui lance une trille aigue dans les oreilles.
Triit, on courait. Triit, on s’arrêtait de courir.
Triit, début du match, Triit, mi-temps, on change de côté.
Trrit roulade, vas-y Jérôme. Triit roulade, vas-y Jean-Yves.
Cet instrument rythmait nos cours et on pouvait aussi l’entendre, aigu et énergique, dans la cour, même quand on était en train de suer sur des équations rebelles ou des cartes de l’agriculture de l’URSS.
Triit, Madame Lambertin est en train de faire s’activer une classe, dans un esprit sain et un corps… sain.

Justement, à propos de corps, on fantasmait fort sur celui de Madame Lambertin. Non pas qu’on eût imaginé une seconde faire quoi que ce soit de concret, dans la vraie vie, avec elle. Non, tout comme les filles des magazines, elle était à la fois très sexy, excitante, mais tout à fait lointaine, dans une autre galaxie. Les adultes étaient dans un monde à eux, on aurait eu du mal à les imaginer ayant des émois aussi forts que nous.
Pas du tout comme les filles de la classe, satellites vrombissants dans notre environnement direct de conquêtes possibles ou de retentissants échecs.
Non, la prof de gym, c’était une dimension d’auto-érotisme assez pure, un objet de visualisation onirique, présente en guest star ce temps à autre parmi d’autres corps fantasmés, pour les séances quotidiennes d’astiquage de tout adolescent pré-pubère. C’est comme ça.
Et le sifflet…, oui le sifflet, lui, il avait la chance d’être entre ses lèvres jeunes et belles, presque toute la journée. Ou alors, il était logé sous sa veste de survêtement flashy, tout près de son corps, et on s’imaginait être suspendu au bout d’une lanière et bien au chaud, et peut être même sous son T-shirt ?

En fait, je peux l’avouer maintenant, j’ai monté tout un stratagème avec Jean-Yves et notre complice chez les filles, Marie Tinvelle -la fille du proviseur-, pour la faire arriver en urgence sur une fausse entorse, juste après un cours, au moment précis où tout le monde se changeait. Je m’étais glissé dans le vestiaire des profs, vide par un coup de chance incroyable, et j’avais piqué son sifflet !
En plus, j’avais aperçu en un clin d’œil, ses sous-vêtements posés sur une chaise. J’en avais eu le souffle coupé : quand je serai adulte, je voudrai être un Monsieur Lambertin, m’étais-je juré.
Et le sifflet ? De temps en temps, moi, je sifflais aussi avec, mais tout bas et tout seul dans ma chambre…

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire