lundi 19 octobre 2009

La frontière


Une semaine à passer à Philadelphie ;
Je ne vais pas vous faire un topo sur la Cloche de la Liberté et Lafayette-nous- voilà.
Parlons un peu de la petite ligne rouge qui sépare beaucoup de choses vues ces derniers jours, froids et venteux.
Ici, il y a 14000 congressistes médicaux et scientifiques qui arpentent le centre ville ; on les reconnaît aisément, car ils portent tout le temps leur badge avec leu nom, pays, hôpital ou employeur (exemple : une compagnie pharmaceutique comme moi) et surtout leur prénom écrit en gros, genre pour faciliter les contacts ; Hi John, Salut François, Zorgetidffsk schnuka Liselotte et Nameste Pakhaeta. Eux, ils vont se balader dans les halls géants du convention center, participer à des conférences animées par des professeurs doctes et seront accueillis avec le sourire et les phrases compliantes sur des stands brillants comme des forteresses volantes du futur, expliquant les mérites complexes de molécules efficaces.
Dehors, dans les rues de Philadelphie, les locaux vont et viennent. Le city center, ce sont des buildings modernes ou néo-classiques, des centres commerciaux et de la fumée qui sort du coin des rues où roulent de trop grosses voitures et hurlent des gyrophares permanents.
On croise les blancs et beaucoup de blacks. Des balèzes, des grosses mamas, des maigres et des éclopés, des rappeurs pas commodes ; Et beaucoup, beaucoup de « homeless ». On les remarque, ils sont les éclaireurs épars des quartiers alentours où je n’irai pas, ni mes amis congressistes.
Derrière une frontière, en somme.
Bad luck pour eux, ils sont à côté du cheese-steak XXL et de la part de pizza geante.
Il fait froid, on voit que tous serrent les dents, malgré les deux sweats à capuche ou un manteau bien élimé ; Certains parlent tous seuls, d’autres font la manche avec un gobelet Starbucks vide, d’autres trient les poubelles sans gêne, ramassent un mégot ou récupèrent une canette vide. Si l’on y prend garde, on se rend compte qu’ils sont partout.
Devant un magasin 7/11 ouvert 24/24, une armoire à glace unijambiste est dans un fauteuil et son regard fait peur. Une vieille parle toute seule, elle trimballe six ou sept sacs dont une sacoche d’ordinateur Dell. Il pleut ;
On croise des costauds ou des énormes ventrus qui boîtent.
Beaucoup sont postés à des carrefours et on se demande ce qu’ils attendent.
On est aussi frappé par le look muslim de certains blacks. Comme pour dire, toi tu ne me cause pas ! Des femmes voilées par petits groupes… tout comme on remarque au marché, des Amish. Nous, on n’est pas comme vous, nos femmes ont huit enfants en moyenne et on n’habite pas ici et on a notre lopin, plus loin, là-bas.
Et ce prédicateur que j’ai vu à la TV ce matin devant un stade d’au moins 50000 personnes qui dit God tous les quatre mots et Jésus toutes les deux phrases. Son bouquin est en vente sur le point com qui va bien.
Mais, qui est dingue, qui n’est pas dingue ? Je ne sais pas, mais le homeless aux dents pétées qui veut acheter son crack et l’Amish qui vend des salades bios sont sûrs d’avoir raison tous les deux. Le prédicateur, lui, il encaisse les royalties de sa trade mark.
Autre limite bien visible : Chinatown. Le quartier est délimité et pour les idiots et les touristes comme moi, il y a une arche de cinq mètres de haut au début de la rue principale.Avec des dragons pour qu’on soit sûr, parceque des poussins, ce serait out of place, non ?
Après quelques rues, c’est un autre monde et je suis bientôt le seul à ne pas parler mandarin dans le coin ;
Au bout du dernier block, on tombe sur un square avec des SDF, leurs bonnets et leurs poussettes, et là, fini les plats à la vapeur et les canards laqués.Une camionnette blanche cabossée est garée là, deux types me dévisagent.
J’ai vite senti qu’il fallait faire demi-tour.
La lisière de ma visite (surtout en costume et avec mon badge où Jérôme apparaît en gros ?… Non je l’avais déjà enlevé ! Vous me prenez pour qui ?… et pourquoi pas un déguisement du KKK ?)
Mon périmètre, c’est l’hôtel Marriott (Lucky me), où je peux rentrer et taper sur mon clavier, après un dîner de relations publiques bien tempérées.
Dehors, il fait bien froid et le vent souffle.
Demain matin, la frontière de l’aube effacera la nuit et les lumières de la ville s’éteindront, même si beaucoup auront brûlé toute la nuit pour rien.
Demain matin, dans les rues de Philadelphie, chacun retournera à son poste.
Les congressistes, les Amish, les homeless sans dents, le prédicateur et les chinois.
La Cloche de la Liberté et Lafayette s’en moquent .

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