mercredi 23 février 2011

Game over, tripes au lit



Les émeutiers secouaient les grilles du Palais. Une foule ivre de colère allait tout dévaster sur son passage, probablement briser et brûler beaucoup de choses. Les pauvres.
Quelques fantassins de sa garde rapprochée (encore fidèles) tiraient leurs dernières cartouches, sachant qu’ils allaient être taillés en pièces quoiqu’il arrive. Le tumulte s’amplifiait  Il l’entendait de son vaste QG de secours, fut-il à quinze mètres sous terre. 
Ah, on en avait électrifié des opposants dans ce sous-sol, au début du moins, avant de sous-traiter tout ça à des spécialistes bien entraînés. Il était même venu quelque fois mettre la main à l’interrupteur, dans les années 70. A l’époque, il était mince et abattait encore des prisonniers pour son plaisir. Ces derniers mois, il n’avait guère eu de temps pour s’amuser, à courir sans cesse les entrevues avec ses chers « partenaires » chefs d’Etat et tous ces intermédiaires fatigants qui voulaient chipoter sur ses commissions.

Il fallait faire vite maintenant, courir dans le tunnel qui passait sous le grand  boulevard qui portait le nom de son père, amorcer les détonateurs pour le feu d’artifice final qui retarderait les recherches et enfin ressortir par le discret bâtiment qui abritait à seulement trois cent cinquante mètres un hélicoptère compact et un pilote palestinien, tous les deux faits d’acier et parés à décoller avec lui à bord, direction… 

Il se hâtait de mettre tous les documents et codes nécessaires pour récupérer des fonds bien sécurisés… au pays du chocolat et dans des îles inexpugnables, dans cette fine mallette aux au logo d’un grand couturier français, souvenir d’une visite d’Etat charmante, à Paris, il y a seulement trois ans. Vite. Des cris. Du verre brisé. Une explosion retentit au rez-de chaussée. Son ancien bureau d’apparat et toutes les salles de réception avaient été minés. Quelques insurgés avaient gagné une entrevue avec la mort, à défaut d’apercevoir leur ancien chef suprême. Il rit de bon cœur et avala un autre quart de Lexomil avec un verre de whisky.
Le régime de terreur et la poigne de fer qu’il avait réussi à maintenir depuis quelques décennies tombaient en une sanglante charpie, tout s’écroulait brusquement par pans entiers et tout cela sentait plus le sapin que la rose. 
Le peuple servile, autrefois courbé et craintif avait enfin compris qu’il pouvait tout balayer. La chape de peur patiemment construite, à coup d’emprisonnements arbitraires, de torture à forte publicité et de délation bien rémunérée, elle aussi se trouvait mise à bas. Exactement comme ces statues dorées le représentant montrant l’horizon, plantées à presque tous les carrefours du pays. Cela avait pris cinq semaines entières d’émeutes et de combats de rue. Une montée graduelle, de plus en plus rapide, comme un poulain qui titube en naissant et puis galope peu de temps plus tard. 
Ses apparitions publiques menaçantes ou paternalistes n’avaient rien calmé de la frénésie de liberté qui s’était emparée de toute une nation. Enfin, pour l’essentiel des hommes de moins de vingt ans, millions de chômeurs sans autre espoir qu’une place honteuse sur un bateau d’exil affamé vers le Nord.  Les gaz lacrymogènes au début, les balles réelles ensuite et les mitraillages de civils par des hélicoptères de combat… tout cela n’avait guère effrayé les milliers de manifestants, n’ayant au fond plus rien à perdre.
Ses anciens amis, dirigeants du monde occidental dit « libre », lui avaient tourné le dos aussi vite qu’ils avaient autrefois accouru sur le perron de leurs palais présidentiels, lorsqu’il venait signer de juteux contrats d’armement. Le Roi Daoud, qui l’avait un jour appelé « mon petit frère d’islam » ne répondait pas davantage, même sur la ligne satellite sécurisée. Les autres dirigeants du continent étaient davantage préoccupés par la sauvegarde de leurs trônes et de leurs prébendes que de tendre une main secourable à l’un des leurs.
Après moi, le déluge ? Pensa-t-il en abattant froidement son dernier garde du corps et en réglant la minuterie des puissants explosifs sur huit minutes. Son chiffre porte bonheur.

Il se mit à courir dans le tunnel après avoir refermé une porte blindée. Il s’imagina déjà entrain d’enlever les bandages et quel nouveau visage il aurait. Allez, il allait se mettre au rami, à la philatélie, voire au golf ? 

Il aurait vraiment beaucoup de temps devant lui, désormais.

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