vendredi 18 février 2011

Détour de manège



Il termine, en se brûlant presque, le café qu’il a ramené de la cantine. Il file récupérer un document à l’imprimante partagée. Puis, il se dépêche d’envoyer un dernier mail, d’éteindre son ordinateur portable qu’il enfourne dans la sacoche pleine de câbles. Il ferme sa vieille mallette de cuir noir qui déborde de rapports reliés et épais. Il attrape son écharpe et passe son manteau gris, tout en sortant de son bureau en trombe, il fait un vague signe de main à un collègue occupé. Le taxi est en bas, le standard a déjà appelé deux fois Pour dire qu’il était depuis à quatorze heures précises, comme demandé. Il descend en courant par l’escalier, c’est plus rapide, passe devant l’accueil, salue la petite dame, sort et s’engouffre à l’arrière d’un break gris argent. « Bonjour. Vite, à Roissy, hmm, Terminal… attendez,  je regarde mon billet… oui, 2 D, comme, diable, ha, ha, ha. Allez. ». Et déjà, il s’empare de son téléphone portable, lit en travers les trois sms reçus, compose un numéro stocké en mémoire et se met à feuilleter son petit calepin corné, qu’il extrait d’un geste de sa poche de veston. Il griffonne et rature quelques indications, des chiffres à ne pas oublier et deux autres rendez-vous pressés à ne pas oublier. Dès qu’il se reconnectera, il mettra en copie…

Il lève les yeux. Ce n’est pas la route qui mène à Roissy ? Il ne reconnaît pas le chemin familier, la triste banlieue nord qu’on traverse sans la voir, le Stade de France que l’on jauge au passage, ni ces alignements d’hôtels standardisés. « Mais, vous passez par où, Monsieur ? » Demande-t-il au chauffeur, dont il remarque brusquement les grands yeux noirs, vraiment très noirs, dans le rétroviseur. Pas de réponse. Il veut rajouter quelque chose, mais aucun son ne sort de sa bouche. Il tente de changer de position et se sent comme collé au siège par une force brute, supérieure. Il veut tendre le bras, mais sa main gauche sans force lâche le téléphone qui chute, au ralenti. La main droite laisse échapper le calepin qui rebondit tout doucement sur le siège avant de disparaître à ses pieds glacés, qui pèsent des tonnes. Il remarque, impuissant, cloué comme un papillon que la voiture prend de la vitesse dans un tunnel à la fois sombre et lumineux, qui prend une pente descendante de plus en plus marquée. 
Les ampoules crues et oranges sur les murs passent trop vite, ressemblant  à des comètes éblouissantes. Le rétroviseur qui reflète le visage effrayant  de son chauffeur a quadruplé de taille, les yeux noirs sont brillants, les pupilles qui le fixent, énormes. Pas de bouche.
« Please allow me to introduce myself… », murmure une voix douce qui résonne dans sa tête en stéréo, à volume maximal.

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