jeudi 15 avril 2010

Paradoxes de toubab



Bakhary T., arrivé du Mali depuis peu travaille comme homme de ménage à la Défense, dans les bureaux, à l’aube ou le soir tombé.
Il se pose de nombreuses questions ! Un jour, il écrit une lettre à son frère, resté au pays. Extraits.

« ….. et aussi, pourquoi ils écrivent salle de réunion sur la porte, même quand les blancs en cravate sont partis ? Cela doit porter malheur, je les ai vus un matin, ils ont l’air très solitaires, et un peu fâchés même tous ensemble. Là, même ! Un parle, personne n’écoute. Ou, tous parlent et personne n’entend ! Toujours ils veulent faire dans la salle de réunion ce qu’ils appellent le mitine-gué.
Et puis, présentement, pourquoi on appelle ce village « La défense » ? Il y a seulement des grandes compagnies qui attaquent les marchés, les concurrents et les emplois…. Ça, je l’ai lu dans le 20 minutes (c’est journal gratuit que tu prends dans des boîtes dans le train RER). Et pourquoi il s’appelle que 20 minutes, on le garde une journée entière ! On doit payer après ou quoi même ? Les blancs sont très fatigués, mon frère. Je te le dis. En plus, le train RER, plus il y a du monde, plus il avance doucement. Plus les conducteurs sont mal payés, plus ils arrêtent de travailler et plus les gens là, ils sont en colère et moins ils montent dans le train RER et moins les conducteurs ils seront payés.
Attends, attends. Ici, ils n’ont pas un, mais deux téléphones portables.
Un avec des messages sms et pour parler.
Un avec les e-mails dedans. Appelés « blagbéris noirs ».
Alors, comme ils n’ont pas le temps, à cause de train RER en retard, de lire les e-mails du second, ils appellent leurs collègues ou font des sms avec le premier pour dire comme ça : on va faire une réunion pour en parler. Ecrivez-moi un e-mail pour confirmer la réunion mitine-gué !
Et au final, comme ils ne sont pas tous à la Défense, ils se téléphonent, mais pas sur le portable. Ils veulent parler tous ensemble de la fois où ils vont se voir dans la salle de réunion dont je t’ai parlé. Seulement, une fois tous assis là, en rond, ils n’écoutent pas et envoient des sms à ceux qui n’ont pas pu venir et qui leurs envoient en plus des e-mails dans leurs blagbéris noirs.
Tu me suis ? Non.
Ecoute, dans six mois, je viens passer les vacances au pays. Je vais te montrer le journal 20 minutes gratuit, des photos du train RER serré-serré, et de la salle de la réunion mitine-gué.
On se verra sous l’arbre à palabres, au village.
A l’ombre, parce qu’au soleil, on se fatigue vite, comme ceux qui ont deux téléphones………….. »

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